Le respect, la frime et l’endurance

Magic se joue avec les cartes et la tête, mais aussi avec le coeur et les tripes.


1 – Le Respect

Pour ceux qui me connaissent bien et qui ont eu des discussions philosophiques profondes avec moi, vous avez déjà une bonne idée de ce que je pense. Pour les autres, non vous n’êtes pas (encore ?) dignes d’avoir ces discussions avec moi, alors vous allez vous contenter d’un résumé.

Les valeurs prônées par la société ne sont pas récompensées. Dans votre vie, vous serez surpris de voir à quel point il est avantageux d’être malhonnête et lâche. A bien des égards, il vaut mieux un couard vivant qu’un héros mort (et, plus vrai encore, il vaut mieux un héros couard qu’un mort vivant, mais je m’égare).

Toutefois, il existe selon moi une (seule) attitude qui est à la fois payante et moralement encouragée : respecter autrui. La rareté de ces situations donne d’autant plus d’importance au respect que vous donnerez à votre entourage. A Magic plus qu’ailleurs. Commençons par poser une définition courte de ce qu’est le respect au sens où je l’entends :

Respecter quelqu’un c’est accepter qu’on peut apprendre quelque chose de cette personne

En ce sens, j’espère que tout le monde sera d’accord pour dire qu’il faut respecter absolument tout le monde. Pas a peine de prendre le risque de passer à côté d’une leçon intéressante alors que respecter quelqu’un est si facile à faire. Mais c’est beaucoup plus évident à dire là comme ça que d’y penser dans les situations suivantes :

  • Vous avez perdu la partie en faisant death/flood
    Vous n’avez rien pu faire de la partie, et concrètement, c’est vrai que vous auriez peut être pu gagner. Sauf que ce n’est pas le cas, c’est Magic. Si vous n’aimez pas ça, faut jouer aux échecs. Ca n’empêche pas que pendant que vous râliez contre votre deck ingrat, votre adversaire a fait des choses potentiellement intriguantes, voire intéressantes. Il peut aussi arriver que votre adversaire n’ait pas à déployer le grand jeu dans cette situation, mais ce n’est pas de sa faute, et il ne mérite pas votre rage.
  • Votre adversaire a eu un topdeck miraculeux ou une sortie folle
    Alors ça déjà je suis persuadé que beaucoup de gens se jètent beaucoup trop facilement sur ce prétexte pour expliquer leurs défaites, alors qu’elles résultent en fait de mauvaises décisions et/ou que ces topdecks apparemment miraculeux n’avaient en réalité rien d’improbable. Mon conseil c’est de bannir totalement cette excuse de votre registre. De toute façon, ça n’arrive même pas sur 1% de vos parties en vérité, donc vous ne prendrez pas de risques à chercher vos erreurs.
    Mais même si ça vous arrivait réellement (jouez au loto), ce n’est pas une raison pour manquer de respect à votre adversaire. D’une, ce n’est pas lui qui décide ce qu’il pioche, pester contre lui n’arrangera rien. De deux, s’il a bien construit son deck, ben vous pouvez en tirer une leçon. De trois, s’il met des cartes dans son deck, c’est pas pour ne pas les piocher hein…
    Bref, bannissez cette excuse du répertoire, c’est horriblement contraire à toute forme de progression et de plaisir pris dans le jeu.
  • Votre adversaire joue un deck budget/construit avec les pieds et vous non
    Ca arrive assez souvent qu’un joueur avec des ambitions ccompétitives rencontre un joueur qui est là pour s’amuser, et le clash entre les deux mondes ne se passe pas toujours bien. A tort. Un joueur qui a eu des expériences différentes des votres pourra forcément vous transmettre quelque chose, que ce soit en termes de gameplay (des tricks tout mignons par exemple) ou autour du jeu (s’amuser pour être plus endurant psychologiquement). Les ambitions ne sont pas les mêmes, mais les leçons sont communes. Seules les conclusions peuvent différer.
  • Vous avez « injustement » perdu plusieurs rondes consécutives et vous vous retrouvez dans des tables basses et hors de portée de vos objectifs
    Ne laissez pas la frustration prendre le dessus sur quoi que ce soit pendant un tournoi. Après le tournoi, c’est une autre histoire, mais restez concentrés sur le tournoi. Si ça se trouve, vos adversaires ont le même niveau que vous et ont eu la même déveine. C’est aussi ça Magic : on court tous les mêmes risques (presques).
  • Votre adversaire ne vous respecte pas
    C’est plus dur de montrer du respect quand on n’en reçoit pas. Et franchement, c’est vrai que c’est dans ce cas là que vous risquez de tirer le moins de choses de votre adversaire. Ca n’empêche pas que vous devez quand même faire l’effort. Et puis c’est toujours sympa de le faire, parce qu’on se sent un peu supérieur au petit scarabée en face de nous qui n’a rien compris à comment ça marchait !

A ce titre, ne pas serrer la main d’un adversaire à la fin d’un match est, selon moi, la pire insulte qui puisse être faite. Récemment, au WMCQ Standard à Toulouse, un adversaire m’a fait perdre mes moyens et la partie alors que j’avais virtuellement gagné. Je lui en veux encore, et je me souviens comme il a été dur de tendre la main. Je sais que ça peut être dur parfois. Mais partir sans serrer la main d’un adversaire c’est le manque de respect le plus odieux qui puisse être, parce que c’est un symbole. Magic est un jeu et une compétition, et en aucun cas ça ne devrait suciter de haine et d’irrespect au point de le montrer de la sorte.


2 – La Frime

Il y a deux frimeurs, le bon frimeur et le mauvais frimeur. (Celui qui fait la blague à laquelle vous pensez tous, je lui botte l’arrière-train.) Le mauvais frimeur est vantard, je vais pas vous faire un tableau, vouos voyez très bien l’image. Le bon frimeur, toutefois, est très important pour le jeu selon mes critères.

Pour commencer, on va regarder une illustration du bon frimeur. Vous connaissez peut être cet épisode de Magic d’ailleurs, il est très connu.

Gabriel Nassif est pour moi, outre l’un des trois meilleurs joueurs de tous les temps, de loin le meilleur « joueur théâtral » qu’il y ait eu. Dans cette ronde, quart de finale du Pro Tour Tokyo 2009 (qu’il a fini par gagner d’ailleurs), il est sous une énorme pression de la part de son adversaire et n’a plus de carte en main. Il y a plusieurs cartes qui le sortent de son trou, mais un topdeck terrain le flanque hors du Top 8 au tour suivant. Pour ceux qui ne comprennent pas l’anglais, il pioche sa carte sans la regarder, puis réorganise ses terrains pour payer le coût de Cruel Ultimatum, et annonce, toujours sans avoir vu sa seule carte en main, que c’était son topdeck. C’était le cas.

Mettons nous dans la peau de Nassif. Il y a trois cas de figure qui me viennent à l’esprit.

  1. Nassif a triché et a mis son meilleur topdeck en haut du deck. Ca me parait un peu improbable vu que Nassif n’avait pas touché son deck depuis quelques pioches (donc quitte à tricher il aurait pu le faire mieux), et Nassif n’a globalement jamais été accusé de triche, même si en soi ça ne prouve rien. Mettons de côté cette hypothèse, non pas parce qu’elle est improbable mais parce qu’elle rend tout le reste caduque.
  2. Nassif, après avoir réorganisé les terrains, a effectivement pioché Ultimatum. On sait tous ce qui se passe dans ce cas, et la partie reste dans l’histoire.
  3. Nassif, après avoir réorganisé ses terrains, se rend compte qu’il n’a pas pioché Ultimatum. Il joue sa carte, perd peut être la partie, et la partie est plus ou moins oubliée (c’était quand même cinq belles parties qui se sont déroulées).

Donc concrètement, Nassif ne risquait rien à réorganiser ses terrains. Et même si sa légende était déjà bien cimentée à ce moment là (plus encore après avoir gagné ledit PT), il a ajouté une pierre à l’édifice. Nassif c’est le bon frimeur.

La bonne frime n’est en fait pas vraiment de la frime. En anglais, le terme que je n’arrive pas à traduire serait « showmanship », littéralement le fait de se montrer. Faire une action théâtrale, c’est enjoliver la partie, et si elle est bien amenée, ça plaira autant à votre adversaire qu’à vous. Ca rendra un topdeck critique plus supportable pour celui qui le subit. Ca fera rire la foule autour de vous quand vous êtes au bout du cinquième tour additionel (oui c’est du vécu, c’était très cool de la part de mon adversaire d’accepter de le faire d’ailleurs). Evidemment, si vous n’êtes pas en Top 8 de Pro Tour ça risque de ne pas marquer l’histoire, mais l’ambiance en est tellement plus légère.

Être capable de rendre une action théâtrale, c’est aussi une occasion pour s’exercer à prendre du recul. Ce n’est pas évident de porter la pression d’un gros topdeck sur ses épaules, mais si on arrive à s’en souvenir, le rendre esthétiquement plus plaisant vaut toujours le coup. On peut le prendre comme un exercice, ou comme un moyen de réduire cette pression et à prendre ce recul. Il va sans dire que Nassif, la pression, il la boit.

Et enfin, rendre un geste mémorable, ça peut être tout simplement jouer la partie jusqu’au bout au lieu de la concéder/de montrer une carte en disant que ça finit la game. Owen Turtenwald a publié un article sur ChannelFireball aujourd’hui même qui est vachement bien construit à ce propos. Si vous êtes dans le « tl;dr lol » ou « I dont parle english », en voici un résumé :
Turtenwald prend trois parties récentes en exemple. Lors de la première, un des deux joueurs montre à son adversaire les cartes de sa main, parmi lesquelles se trouve effectivement un play gagnant. Son adversaire, après avoir pris un peu de temps pour trouver la ligne perdante, concède. Le coverage, à savoir Randy et Marshall (donc pas des moindres !), est complètement perdu et ne savent pas qui a gagné la ronde. Lors de la deuxième, il joue contre LSV, et il fait un play qui le laisse vulnérable à Dromoka’s Command. Au lieu de demander à LSV s’il a ladite carte en main, il laisse jouer. Bilan : LSV l’a bien en main, et une série monstrueuse de plays plus tard il gagne la manche. La partie était impressionante, salivante et facile à suivre. Ne pensez pas que Turtenwald et LSV, deux Hall of Famers et peut être les deux meilleurs joueurs du moment, ne savait pas ce qui allait se passer à partir de là. Ils auraient largement pu remballer tous les deux si LSV avait montré le DrCo. Ils ne l’ont pas fait, pour le plus grand plaisir de tous. Et enfin, dans la troisième partie, Ondrej Strasky a cru qu’il avait gagné, alors il a révélé la carte qui le faisait gagner de sa main. De fait, son adversaire avait une réponse qui le sortait de là. Leçon morale de ces trois parties, que ce soit pour vous ou pour votre entourage, jouez les parties jusqu’au bout.

Magic, comme Lol ou le football, gagne à être regardé, à être suivi. Si des analphabètes sont payés des millions pour pousser un ballon, c’est parce qu’ils font des choses que les gens aiment voir. La beauté du jeu passe aussi par la beauté des plays, et même si non, ça ne veut pas dire que vous devez faire des plays sous optimaux si c’est plus joli, je ne peux que vous encourager au plus haut point à faire des belles choses si vous pouvez vous le permettre. N’oubliez pas cet aspect du jeu.


3 – L’Endurance

Il y a trois types d’endurance qui ont un impact direct sur vos parties de Magic. L’endurance de votre deck, votre endurance physique et votre endurance mentale. La première sera sujet d’un gros article un jour prochain, je ne me grille pas mes cartouches pour le moment. Peut être pour Mindsport Academy, mais ça me gonflerait de rédiger tous mes chefs d’oeuvre en anglais… Affaire à suivre, peut être que ça sera pour Magiccorporation, Espace Magic ou quelqu’un d’autre.

Quant à l’endurance physique, c’est pas moi qui vais vous donner des conseils. Ceux qui m’ont déjà croisé savent que je ressemble à cet animal marin qu’on appelle « crevette ». J’ai vraiment une endurance à chier. Ouais ouais je sais qu’il faut que je me remette au sport. Bref, comme pour tout, ayez une activité sportive régulière, mangez sainement. Mais surtout restez hydratés. C’est hallucinant à quel point vous allez améliorer vos performances en buvant une gorgée ou deux entre deux manches. Par cette chaleur ambiante en plus, c’est plus qu’un gros plus, c’est une nécessité. Ah si et essayez les fruits secs entre deux rondes, c’est ce que je prenais à l’époque où je faisais du sport, et c’est assez miraculeux. Ne prenez pas des chips, c’est le pire possible ça, c’est gras, salé, pas nutritif… Les fruits secs ça va vous donner un bon boost toute la journée !

Quant à l’endurance morale, je suis également très faible, mais bon au moins ça c’est le genre de truc auquel il suffit de penser pour le régler.

La chose qu’il faut garder à l’esprit, c’est que tout le monde aime gagner. Et ce quelque soit le jeu (sauf peut être le golf, c’est vraiment un sport un peu con ça, mieux tu joues moins tu joues, c’est contrintuitif…) (NB : j’adore sincèrement le golf et si l’équipement coutait pas si cher j’en ferais sans doute à un niveau plus régulier) (NB : je divague et vous me dites rien, vous devriez avoir honte, pendant que je tape on n’avance pas sur le sujet)… On peut se lasser d’un deck, c’est évident. Living End et Grishoalbrand en Modern ou Ramp et WWr Humans, par exemple, font souvent la même chose de partie en partie, même s’il y a des fluctuations qui rendent toujours ces decks intéressants. Mais en général, on s’en rend compte assez vite de ça, et la solution est des plus simples : il faut changeer de deck. On ne peut pas jouer correctement si on pousse un soupir de lassement quand on lance le sort clé du deck. Evidemment, ça peut impliquer de voleter d’un deck à l’autre pendant longtemps, mais mieux vaut tard que jamais. Des fois, il vaudra mieux jouer le meilleur deck du moment, le reste du temps vous saurez quoi jouer. Ca finira par payer.

Toutefois, même si vous jouez votre deck fétiche, personne n’est à l’abri de l’errosion qui vient d’une série de défaites ou, pire, de near-misses. On peut tous se souvenir d’une fois où on a perdu foi en notre deck alors qu’il était objectivement bien fichu et pas mal joué. Pour moi, c’était au Grand Prix Lyon en Octobre 2015 (2-1 into 2-6, c’était dur alors que j’avais un deck franchement sympa) et le BOM Annecy en Avril dernier (1-0 into 1-7, mais là le deck était à chier et je le savais avant d’y aller). Pour d’autres, c’était de faire deux fois d’affilée Top 8 mais pas Top 4 à un RPTQ. Il faut clairement s’en détacher, sinon ça finit en boule de neige et la déprime provoque des défaites à un rythme exponentiel. Toutefois, il ne faut pas en oublier ses erreurs pour autant. Alors c’est là que ça devient un peu délicat.

Une solution m’a été proposée par Patrick Chapin le jour où je l’ai interviewé. En soi quand vous vous asseyez pour votre ronde, peu importe ce qu’il s’est passé jusque là, vous êtes là pour la gagner, faut pas déconner (sauf si vous devez faire ID mais même là c’est sujet à des discussions que je trouve plus que stériles). Et je dirai même plus : les rondes d’avant n’influent en rien votre deck (n’oubliez pas de désider hein). Donc si rien n’influe sur ce qui doit se passer, rien ne doit le faire. Ce n’est pas entre deux rondes qu’on fait son bilan, c’est après la fin de l’event. Après l’event, reprenez vos notes (sous-entendu : prenez des notes…) et essayez de vous remémorer des parties. Vous pourrez sans doute retrouver des erreurs que vous avez faites si vous n’avez pas une mémoire d’huitre. (Et encore, parait que c’est rancunier ces saloperies, mais personne n’a vérifié…). En repoussant l’analyse de vos parties à après l’event, vous allez certes perdre un peu en apprentissage (oui la mémoire à court terme marche mieux, je sais) mais vous allez augmenter vos chances de victoire en ronde par ronde. De toute façon, c’est certainement pas des leçons que vous croyez apprendre entre deux rondes frustrantes à propos de corner cases absolument pas représentatifs de la réalité dont vous devriez vous resservir avant d’avoir eu une mûre réflexion.

Evidemment ce n’est qu’une façon de voir les choses, je n’ai pas la science infuse et si on avait une solution miracle on la connaîtrait sans doute déjà. La vérité est que chacun doit se trouver sa voie, et trouver la façon de tirer le plus possible de ses erreurs, au long terme comme au court terme.


Et voilà un article qui ne ravira pas le plus techniques d’entre vous. Comme je commence à en écrire beaucoup des comme ça, je pense que je vais me recentrer prochainement sur des revues de decks et du deckbuilding, et puis pourquoi pas une analyse du méta de temps en temps. Ca nous permettra de nous recentrer un peu.

Bon j’espère que ça vous a plu quand même. Je piaffe d’impatience à l’approche du GP Lille, en une semaine à peu près six cent places se sont prises, ça fait tellement plaisir de voir tout ce monde ! Ca va être cool ! Allez, see you there ! (Et n’oubliez pas de vous inscrire si ce n’est pas encore fait bande de patates que vous êtes).

La bise !

2 réflexions sur “Le respect, la frime et l’endurance

  1. En fait, ça vient d’ou le fait de serrer la main de son adversaire ? Personnellement, je ne le fais jamais, sauf si mon adversaire amorce le geste.
    Parce que c’est pas naturel chez moi.

    Pourquoi ‘montrer’ son respect via des codes qui peuvent être fait à contrecœur plutôt que de réellement s’intéresser à l’adversaire ? Je n’ai du serrer que 5-6 paluches sur la vingtaine de matchs que j’ai joué le week end dernier, et pourtant, je pense que pas un seul de mes adversaire n’a gardé un mauvais souvenir de moi. J’essaie de dédramatiser les situations, si salées soient elles (dans un sens ou dans l’autre) et de discuter un peu avec mon adversaire. Stratégie, plays spécifiques ou simplement transport & IRL, ça dépend de l’adversaire.

    Tout ça pour dire que respecter les codes, c’est une chose. Leur esprit, c’en est une autre.

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